Vers des marchés relocalisés ?
L’ampleur mondiale de la crise sanitaire pousse à des réflexions en amont et en aval quant à la pertinence de maintenir ou rapprocher des productions du territoire national. Et laisse une trace dans les ventes en magasin.
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Si, en amont, les maillons de la chaîne ont bien tenu, avec des freins assez vite levés en logistique, l’ampleur mondiale de la crise a toutefois interpellé ses acteurs. Pour Claude Tabel, président de l’Union française des semenciers (UFS), les périodes de crise sont en effet « toujours propices à se poser des questions ». Ainsi, selon lui, « le fret aérien pour les semences risque d’être plus compliqué à l’avenir, surtout pour celles produites dans l’hémisphère Sud, et certaines productions pourraient être relocalisées sur le territoire français ». D’ailleurs, il constate des mouvements de protectionnisme sur un plan mondial, comme en Russie, « au profit des acteurs locaux. Cette année, la France a exporté vers ce pays nettement moins de semences oléagineuses et c’est une tendance de fond. »
En phytos, des débats se font jour également. Ainsi, l’UIPP insiste sur le maintien de l’outil industriel en France afin d’accompagner la transition agroécologique dans l’élaboration des produits de biocontrôle, sinon « nous serons dépendants des importations », avance sa directrice (ci-dessous).
Rapprocher certaines formulations
D’autres réflexions émaillent ces débats dans un contexte où 80 % des matières actives proviennent de Chine ou d’Inde. Le président de La Coopération agricole Métiers du grain, Antoine Hacard, invite à étudier « la nécessité de diversifier les sources d’appro afin d’éviter la dépendance à un seul pays pour un même type de molécule. Nous avons également à entreprendre, dès septembre, une réflexion sur la robustesse de la chaîne logistique et l’anticipation des besoins. Si la crise sanitaire et le confinement étaient survenus plus tôt, nous aurions pu être gênés. »
De son côté, Éric Barbedette, directeur d’Actura, fait part d’« une réflexion menée par certains acteurs du secteur phyto sur la pertinence de rapprocher la formulation ou le conditionnement de certains produits, en Europe, au plus près des marchés de leur distribution. Nous suivons ce débat de près car nous souhaitons être encore plus en interconnexion avec nos fournisseurs pour sécuriser nos appros. »
Chez Corteva, qui a déjà des usines en France et en Italie, le point de vigilance se situe plus sur « l’approvisionnement de quelques produits intermédiaires intervenant dans la formulation de nos produits et qui viennent d’horizons éloignés, détaille Jean-Philippe Legendre, DG de Corteva. Cela pourrait tendre certaines formulations spécifiques, de façon certes très ponctuelle. D’autant que l’on ne peut substituer les intermédiaires les uns aux autres pour des questions d’AMM du produit final ».
Ramener de la valeur ajoutée
Sur l’aval, des réflexions sont également pointées. S’il est acquis que certaines productions, comme le poulet, les fruits et légumes ou la viande ovine, font l’objet de 40 à 60 % d’importation en France, le président de La Coopération agricole, Dominique Chargé, parle davantage de « reconquérir des marchés perdus que de relocaliser, et ce avec des pratiques de production restaurant la compétitivité et acceptables au niveau sociétal ».
Ramener de la valeur ajoutée sur le territoire peut aussi passer par une transformation plus importante des matières premières agricoles en France, selon Christian Huyghe, directeur scientifique de l’Inrae, observant que « l’on exporte des produits bruts, comme les céréales, et la valeur ajoutée se fait ailleurs ».
À valeur d’exemple, la politique de transformation du groupe Limagrain est intéressante et fait dire à sa chargée des affaires publiques, Maud Robert, que « la notion de circuit court peut aussi être un concept adapté à l’agroalimentaire : c’est un vrai enjeu pour les coopératives car avoir un outil de transformation à proximité des adhérents prend tout son sens ». Et de citer leur filiale Jacquet Brossard, avec laquelle le groupe coopératif auvergnat peut, « sur une même échelle de territoire, produire la matière première, la transformer en farine puis en faire des petits pains ».
Engouement dans les rayons
Un concept de circuit court qui a fait s’envoler, durant le confinement, les ventes des rayons alimentaires des magasins de coopératives ou négoces. Même si le soufflé est quelque peu retombé, une nouvelle clientèle semble acquise, ainsi qu’en témoignent le négoce RAGT Plateau central (ci-dessous) ou Euralis avec ses corners « La table des producteurs » ou encore Terres du Sud.
« Après avoir connu une hausse de 65 % du chiffre d’affaires, voire 120 % durant Pâques, nous sommes à plus de 10 % d’activité supplémentaire à ce jour, si l’on compare à l’an dernier à la même époque », se félicitait, à la mi-juillet, Olivier Quero, responsable communication d’Euralis. Avec des résultats dépassant les objectifs prévus, Terres du Sud va étendre, d’ici à trois ans, à une dizaine de ses Gamm vert, son concept d’espace « Le goût de nos campagnes », ouvert en décembre 2019 dans le magasin de La Réole et alimenté par des produits conditionnés et des fruits et légumes de ses adhérents.
Pour sa part, l’enseigne Frais d’ici du groupe coopératif InVivo, qui n’est pas en circuit court mais propose en majorité des produits locaux ou régionaux, enregistre une hausse de 11 % de son chiffre d’affaires entre début mai et fin juin avec un gain de parts de marché de 18 % et de nouveaux clients.
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